Claude Goutin

Né à Nancy en 1930, Claude Goutin a su marquer de son œuvre le paysage public en faisant écho aux préoccupations de son époque. Après six années de formation dans l’atelier du célèbre sculpteur Art déco : Alfred Janniot, le jeune artiste remporte à son tour en 1956, le Premier Grand Prix de Rome de sculpture ce qui lui permet de résider pour trois années à la prestigieuse Villa Médicis et de s’imprégner de l’essence du monumental. En effet, comme tous les grands sculpteurs, le contact avec les chefs-d’œuvre de l’art antique, de la Renaissance et de l’époque moderne italienne laissera  une trace dans son œuvre. Cette allégeance volontaire, résulte d’abord de la volonté de l’artiste de dévoiler ses références ou ses sources.  

Après un ultime détour à travers le monde antique par un voyage en Grèce, Claude Goutin retourne en Lorraine et s’installe définitivement à Metz en 1960.  Outre  ses  expositions  collectives au  musée Rodin  en  1964 et 1966, au musée  d’Art Moderne en 1965 et au Grand Palais en 1969 et 1970, l’artiste reçoit de nombreuses commandes pour des jardins publics, des espaces urbains mais aussi des établissements scolaires. Il propose alors des œuvres monumentales d’une puissance que n’aurait pas reniée son maître.  

Variant de la figuration, comme dans L’effort physique et l’élan de la jeunesse réalisé à Nancy en 1962,  à un certain vocabulaire formel géométrique presque abstrait, ces œuvres de commandes tendent aussi parfois à une véritable écriture allégorique. Dans un registre plus personnel, l’artiste entretient l’essence du monumental. Celui-ci s’exprime d’une part avec ses totems, ses blocs monolithes sculptés,  qui semblent citer les mystérieux menhirs du monde celte ; Et d’autre part, avec ses majestueuses figures d’opéra ou déesses, réalisées à partir de tuiles et de briques. Utilisée pour la première fois dans un souci d’économie, la tuile est depuis devenue l’un de ses matériaux de prédilection. Cette matière tellurique qu’emploi Claude Goutin joue un rôle fondamental dans son œuvre. En effet, au premier regard on est séduit par cette chaude coloration de la terre cuite, qu’elle soit  en tuile  romaine  ou faite  de briques,  brisées  ou entières.  Ces éléments  de construction  font  partie  intégrante  de  notre  paysage  architectural,  ayant  servis  à l’édification des palais, des temples et des murailles.

La terre cuite du briquetier ramène l’inconscient du spectateur au monde Antique, qui, le premier, a su pleinement l’exploiter. Les poteries ébréchées, les tuiles plates, romaines ou à cannelures, trouvées ça et là, sont alors patiemment assemblées grâce au ciment. De tonalité différente, ce-dernier forme une sorte de couture parcourant le corps de la pièce, accentuant encore l’effet d’antique.

L’œuvre semble directement issue d’un site archéologique, telle une poterie ancienne, brisée puis savamment reconstituée. L’incomplétude des corps souligne encore davantage cette filiation : la sculpture s’envisage par fragment, tel un témoin d’une civilisation redécouverte. L’artiste démontre qu’il a su établir un lien entre notre époque et les civilisations passées. A la fois archaïsantes et poétiques, ses œuvres subliment l’espace qu’elles occupent et naissent d’un dialogue entre l’esprit et la matière.  

Cette intemporalité apparente ne doit pourtant pas cacher l’héritage des modernes : loin de toute imitation servile, cette œuvre évoque une forme, plus qu’elle ne la reproduit. L’artiste ne travaille pas sur modèle mais uniquement de mémoire. Sans conteste féminin, le corps est stylisé: les seins sont coniques, les cuisses cylindrique et le cou de forme colonne. Pourtant, à la différence des sculpteurs cubistes notamment, qui ont initiés la simplification des formes, il parvient à conserver intacte émotion et sensualité. Matière et esprit créatif se lient afin de présenter les sentiments. 

Artiste complet, à l’instar d’un Rodin, d’un Bourdelle ou d’un Janniot, cette sensibilité se retrouve aussi dans l’autre partie de son œuvre qui est son travail pictural. Comme dans sa sculpture, Claude Goutin développe une écriture plastique dans laquelle il privilégie la représentation humaine toujours en mouvement. Il prolonge avec beaucoup de verve la veine intimiste de certaines de ses sculptures et accentue les traits de ses personnages pour donner la primauté à la ligne.

De ses œuvres graphiques, émane une qualité émotionnelle qui prend naissance dans la représentation des corps semblant onduler et baignant dans des jeux d’ombres et de lumières. Privilégiant une gamme chromatique « franche », sa touche vibrillonante nous offre un univers immatériel, quasi onirique, rempli de personnages suggérant des émotions humaines. Réalisés de mémoire, ils exploitent eux aussi les grands thèmes de la mythologie et ceux de l’humanité (les rêves, l’amour). Exécutés pour eux-mêmes, sans s’inscrire dans un projet particulier, ces dessins et peintures sont considérés par Claude Goutin comme un moyen d’expression à part entière.  

Claude Goutin cherche surtout à susciter un questionnement, une réflexion sur les êtres. L’artiste présente l’ampleur des sentiments humains à travers différents thèmes jouant, selon les cas, sur l’hiératisme ou sur le mouvement. Revendiquant sa liberté de créer en dehors de tout courant, Claude Goutin définit ainsi le rôle de l’artiste dans notre société : « Affirmer une indépendance et une différence face aux diktats d’une société formatée et manipulée [tout en restant] attentif aux hommes, à leur vie et leur condition ».